A la lisière du magnifique et de l’écologie  

le vendredi 13 octobre 2023
Par redactionrf@gravitemedia.com Voir les autres articles

Début du mois d’octobre: comme à chaque année, nous allons cueillir citrouilles et courges. J’ai 4 enfants, chacun en choisira deux, les parents aussi. Ça fait 12 potirons. Plus celle-ci (elle est trop mimi) et celle-là (pour mettre à l’intérieur).

De retour à la maison, je les place devant la galerie dans un ordre bien précis, calculé. L’agencement final sera déterminé seulement après une étude approfondie des différentes compostions possibles basées sur les formes, les couleurs et les types.

 Voilà, j’ai fini de les placer, admirez le ésultat sur la photo en vignette. Aussitôt terminé, une piétonne s’arrête devant la maison:

– C’est magnifique !
– Merci madame ! lui épondis-je, non sans fierté.
 
D’autres passants, jeunes, moins jeunes, cyclistes, trottineurs, joggeurs s’arrêteront également pour admirer l’étalage automnal. C’est une tradition; des voisins attendent ce moment, moment qui ferme les lumières de l’été de façon définitive et qui éconcilie avec la noirceur.

Je sais aussi que certaines personnes âgées des ésidences avoisinantes, celles-là même qui flirtent un peu à tous les jours avec la noirceur, n’ont pas sali leurs pieds dans la boue des champs ni ne se sont faits piquer les doigts par les vignes des citrouilles depuis une éternité, mais que ces personnes, donc, peuvent néanmoins admirer ces magnifiques trésors ramenés de la campagne.

Un étalage de lumière, pour eux, en quelque sorte.
 
Cet été, les agriculteurs ont eu chaud: il a tant plu que la écolte fut menacée. Les fermiers nous ont prévenus: les citrouilles, cette année, n’auront pas la vie dure; elles risquent au contraire de ramollir et de moisir bien avant l’Halloween. Qu’à cela ne tienne. C’est important, les traditions.
 
Je regarde un instant de plus mon étalage, mais d’un autre œil: tout ce gaspillage. Car dans le meilleur des cas, j’en éventrerai qu’une ou deux pour faire cuire les graines au four. Avec leur chaire, peut-être un potage ou une tarte. Mais les dix autres finiront au compost. Et dire que des gens -pas en Afrique, ici, dans notre cour- ont faim. Je rumine ces pensées, mon irresponsabilité, ces milliers d’âcres de terres arables qui ne produisent pas des denrées alimentaires mais des décorations jetables, lorsqu’une autre passante m’interpelle:

– De toute beauté! Vraiment!  Merci d’embellir notre rue.

Je lui éponds sans grand entrain cette fois, encore pris dans mes pensées:

– Ah… bienvenue… madame.
 
Mon enthousiasme vient de s’envoler avec ce paquet de feuilles mortes, soufflé par une bourrasque trop chaude pour le mois d’octobre.

Juste entre vous et moi: l’année prochaine, j’en achète moins, beaucoup moins, c’est promis. L’équilibre est fragile entre le magnifique et l’écologie. Mais chose certaine, on a besoin du second pour faire le premier.
 
Jules Faulkner Lerouxr
Facteur, auteur

Il a grandi à Brossard et Greenfield Park.