Les infirmières s’imposent au privé

le mardi 18 juillet 2023

Échaudés par le temps d’attente dans le éseau public de la santé, des patients préfèrent payer pour recevoir des services offerts par des infirmières au privé, à Châteauguay et Delson. «Ma santé est mon investissement», justifie Hélène Tapps qui estime que ses besoins médicaux sont presque tous comblés par ces cliniques d’infirmières.

«J’avais perdu mon médecin de famille et ça me préoccupait, raconte celle qui a découvert la clinique Accès Infirmières à Châteauguay par hasard. Je me suis bien sentie dès mon arrivée. Les gens sont disponibles et c’est important pour moi.»

Jugeant le système de santé «saturé», la dame de 71 ans soutient avoir fait un «choix personnel éclairé» en se déposant à cette clinique, qui offre des abonnements annuels allant de 365$ à 945$ selon le nombre d’adultes et d’enfants au dossier. Abonné au forfait solo, Carl Compton estime d’ailleurs avoir fait «une bonne affaire».

«C’est vrai que le éseau de la santé est gratuit et c’est bien pour ceux qui ne peuvent pas dépenser, mais on doit attendre tellement longtemps, observe l’homme de 73 ans. Ici, je me sens confortable et je reçois toujours un accueil aimable.»

Vicky Carrier cherchait quant à elle un lieu accessible pour son fils dont l’état de santé nécessitait des prises de sang, mais qui en avait une peur bleue.

«L’ambiance de l’hôpital le rendait nerveux. Ici, le calme des infirmières lui a enlevé tout son stress. La différence, c’est que tu ne te sens pas dans un milieu médical», affirme la ésidente de Léry.

Catherine Gilbert souhaitait elle aussi trouver une façon simple d’obtenir une prise de sang. Les deux femmes n’en pouvaient plus de la complexité d’obtenir un rendez-vous via Clic santé, témoignent-elles.

«On ne m’offrait rien avant octobre, déplore Mme Gilbert, qui s’est plutôt tournée vers le Centre Cura à Delson où il en coûte 45$ pour recevoir ce service. Je suis contente d’avoir payé parce que tout s’est fait en quelques minutes seulement.»

La ésidente de Saint-Constant croit que «le système en ligne n’en vaut pas la peine» quand il est possible d’être reçu le jour même.

«Les plages horaires sont toujours toutes occupées», confirme pour sa part Mme Carrier qui évalue que les tarifs au privé ne sont pas, à ses yeux, «hors de prix. C’est raisonnable. Tu payes pour la qualité du service, l’accueil et l’environnement, pas seulement pour sauver du temps».

Infirmières et femmes d’affaires

Propriétaire du Centre Cura à Delson, Yanina Lima se définit comme un intermédiaire entre l’hôpital et le patient.

«On permet à celui-ci d’éviter d’attendre pour certaines situations», ésume l’infirmière auxiliaire.

Cette dernière a embauché une infirmière technicienne, puis une clinicienne pour élargir son offre, allant d’un dépistage d’une infection transmissible sexuellement à la vaccination en passant par un pap test et le lavage des oreilles. Même dans ses êves les plus fous, jamais la femme de 39 ans n’aurait imaginé posséder sa propre clinique.

«Piquer une veine, ce n’est pas un problème pour moi, mais gérer une entreprise, c’est une tout autre chose», convient celle qui a d’abord ouvert une succursale du Centre Cura à Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier, près de Québec.

Nathalie Tessier, fondatrice d’Accès Infirmières qui vient d’ouvrir aussi une clinique à Les Coteaux, voit quant à elle se déployer ce qu’elle a ébauché il y a plusieurs années.

«J’adore mon métier d’infirmière dans toutes les fibres de mon corps, mais je voulais aussi devenir une gestionnaire», raconte la ésidente de Candiac, qui offre, en plus des services énuméés ci-haut, des consultations sur divers sujets, ainsi qu’un bilan médical annuel, notamment.

Avancées

Mme Lima estime que la pandémie a ouvert les yeux de certains sur sa profession et son apport au milieu médical.

«Je constate plus de respect envers notre travail. Nous ne sommes pas juste là pour dépanner», clame celle qui prône encore davantage d’autonomie pour elle et ses collègues.

De son côté, Mme Tessier se souvient de l’époque où elles étaient appelées les garde-malades. En 30 ans de carrière, elle a assisté à l’évolution de la pratique.

«En 1992, je n’avais pas le droit de donner de Tylenol, partage-t-elle. Les patients ne savent pas tout ce qu’une infirmière peut accomplir.»

Elle-même l’a rappelé aux instances de la Santé publique lors de la pandémie, en les sensibilisant à la contribution à la vaccination des infirmières du privé, raconte l’infirmière clinicienne de 52 ans.

Comparaisons

Les deux propriétaires affirment parler en connaissance de cause lorsqu’elles vantent les avantages du milieu privé.

«Il y a des équipes superbes qui accomplissent des miracles au public, mais le climat de travail est difficile», reconnaît Mme Tessier.

«C’est vrai que des primes sont offertes au public, mais tu travailles tellement que tu n’as même pas le temps d’en profiter!» ajoute Mme Lima.

Celle-ci apprécie particulièrement son horaire, mais nuance en précisant que l’aventure au privé n’est pas nécessairement synonyme de rentabilité.

«Nous sommes limités dans le nombre de patients que nous pouvons recevoir par jour et devons payer des frais pour, par exemple, faire analyser les prises de sang en laboratoire», exemplifie-t-elle.

Par ailleurs, ces deux cliniques privées d’infirmières n’offrent pas de consultation médicale de la part d’un médecin sur place. C’est le cas cependant de la clinique privée Praxis à La Prairie, qui a ouvert ses portes en 2019. À Candiac, le Centre médical Talin prodigue également des soins infirmiers.

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Nathalie Tessier (Photo: Le Reflet – Denis Germain)

L’avis du ministère de la Santé

Invité à commenter le passage des infirmières du public vers le privé, le député provincial de La Prairie et ministre de la Santé, Christian Dubé, a fait savoir par l’entremise d’un attaché du ministère que l’une de ses priorités «est de devenir un employeur de choix. Nous posons tous les gestes nécessaires pour y arriver».

«Ça va passer notamment par les négociations de la nouvelle convention collective qui sont présentement en cours et qui sont menées par la présidente du Conseil du trésor», a affirmé Antoine de la Durantaye, en ajoutant que la loi 15 adoptée en mai devrait également rendre le éseau plus attractif, selon le ministère.